Allaitement et instinct maternel : réflexions d'un médecin sur la pensée de Madame Elisabeth Badinter
"J’ai travaillé comme médecin pendant 20 ans à la Maternité Nord du CHU de Grenoble, où j’étais spécialement chargée de parler de l’allaitement dans le cadre des cours de Préparation à la Naissance, avant d’aller voir après l’accouchement dans leur chambre les femmes qui le souhaitaient. J’avais lu alors avec un certain étonnement ce que disait de l’allaitement et de l’instinct maternel Madame Badinter dans son premier livre « L’amour en plus ». Je vois que 30 ans après elle réédite cet ouvrage et en ajoute un second qui va dans le même sens.
J’ai constaté avec surprise en la lisant, qu’il s’agisse de l’allaitement ou de « l’instinct maternel », une certaine méconnaissance de ces deux sujets de sa part.
Le journal La Croix du mercredi 10 février a réalisé un excellent dossier complet et objectif sur « Allaiter, ne pas allaiter, le choix des mères ».
Dans la rubrique « en savoir plus », page 15, il est fait mention du rapport de février 2009 de l’Académie nationale de Médecine sur l’allaitement et - en particulier - de la citation suivante, concernant les femmes qui allaitent : « Les suites de couches sont facilitées, et les sécrétions hormonales provoquées par la mise au sein diminuent le risque d’infection du post-partum ». Chaque mise au sein déclenche en effet la sécrétion hypophysaire de l’hormone ocytocine qui provoque, en même temps que l’éjection du lait, des contractions utérines, favorisant ainsi un meilleur écoulement des lochies (pertes qui suivent normalement l’accouchement), et un retour plus rapide de l’utérus à la normale, toutes choses préventives d’une infection éventuelle. Ces notions sont connues depuis longtemps, et Elisabeth Badinter, qui est une bonne historienne, rapporte dans « L’amour en plus » que les sages-femmes à la fin du 19ème siècle disaient aux accouchées pour les inciter à allaiter qu’elles seraient ainsi protégées du risque d’infection utérine. Mais si Elisabeth Badinter rapporte ces faits, c’est pour s’en moquer et pour montrer jusqu’où l’on va chercher des arguments en faveur de l’allaitement ! Madame Badinter n’est certes pas médecin ni sage-femme, ce que l’on ne saurait lui reprocher, mais elle ignore semble-t-il aussi ce que toutes les mères qui allaitent savent d’expérience, à savoir le lien direct entre les contractions mammaires et utérines.
Et quand Elisabeth Badinter, dans une émission de TV sur la 5 le 9 février 2010 en début d’après-midi consacrée à la promotion de son nouveau livre, voit la preuve de l’absence d’instinct maternel dans le fait que les femmes ne savent pas spontanément allaiter comme les animaux et qu’il faut les y aider, elle ne sait peut-être pas que dans la relation qui s’instaure entre la mère et l’enfant qu’elle allaite, c’est l’enfant l’initiateur, que c’est l’enfant qui fait de sa mère une mère, à condition que l’on les mette ensemble ! (cf note en bas de page). Si instinct il y a, c’est l’enfant en effet qui l’a le premier, celui, pour sa survie, de chercher le sein dès la sortie du ventre maternel. La mère est programmée pour répondre, mais elle ne répond que si l’enfant demande.
Le Pr Lebovici (« L’enfance retrouvée » Flammarion 1992), plutôt que d’instinct maternel, préfère parler en effet de programme ; il existe selon lui une programmation absolument spécifique mère-enfant. L’enfant est structuré pour demander,et la mère pour lui répondre.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement la succion qui fait « monter » le lait de sa mère ( les Anglais eux parlent de descente ! « let down reflex »). La vue de son enfant, son odeur, ses pleurs sont autant de signaux capables en quelques jours de faire couler le lait d’une mère - même à distance ! -, son corps devenant apte à sa grande surprise à décoder tous ces signaux. C’est une expérience unique qu’aucune n’oublie de ce temps où tout en elle devenait mère, à la demande de l’enfant. Mais qu’on ne vienne pas lui dire qu’il ne s’est pas créé entre elle et son enfant un lien unique, que l’on l’appelle ou non instinct maternel. . D’une certaine façon, Elisabeth Badinter a donc raison car l’instinct premier est celui de l’enfant. Mais c’est une notion qui manque à l’auteure de « L‘amour en plus » , qui base, dans ce livre, ses conclusions d’absence d’instinct maternel sur des prémisses faussées : sur l’observation des mères du 18ème siècle à Paris, à qui on enlevait les enfants à la naissance pour les mettre en nourrice. On ôtait l’initiateur du lien.
Elle ne parle pas non plus de l’une des raisons et - non des moindres - qui motivaient ces mises en nourrice. Il s’agit du tabou, alors relayé par l’Église, des relations sexuelles pendant l’allaitement. Ce tabou existe encore dans certains pays d’Afrique, mais on le trouve fort bien décrit dans : « Le dictionnaire de cas de conscience ou décisions des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique » publié à Paris en 1741 avec approbation et privilège du Roy. Il est expliqué au chapitre intitulé « Devoir conjugal » que « l’action du mariage est interdite non seulement pendant le temps que les femmes ont coutume d’être incommodées chaque mois, et dans celui de l’accouchement, mais encore pendant qu’elles allaitent leurs enfants ;(…) et que si la femme à cause de sa pauvreté ne peut pas le faire nourrir par une autre femme, elle peut refuser absolument le devoir à son mari, parce qu’il n’a pas le droit de l’exiger en ce cas aux dépens de la vie de son enfant ». Le motif de l’interdiction étant en effet la croyance que le lait se corrompait et devenait dommageable à l’enfant quand le couple avait des relations sexuelles. Cette même croyance étaye encore ce tabou dans certains pays d’Afrique. Il semble plausible par conséquent que cette apparente liberté des Parisiennes par rapport à leur enfant au 18ème siècle et pendant le suivant, put avoir comme raison possible non leur désir mais la demande du mari !
Voici donc, en quelques lignes, pourquoi je pense qu’un manque d’information est à l'origine des inexactitudes écrites et publiées par Elisabeth Badinter sur l’allaitement et l’instinct maternel.
Dr Michèle GUY, Grenoble, février 2010"
Note - Si les mères animales mammifères semblent en effet douées d’un instinct plus facilement exprimé que celui de la femme pour l’allaitement et les soins donnés au nouveau-né, cela est dû au fait que leurs petits naissent plus développés et plus dégourdis pour aller stimuler leur mère que le petit de l’homme, qui naît, on le sait, prématuré, et se montre bien incapable d’aller de son berceau à sa mère. On doit le lui mettre dans les bras. Dans les deux cas, c’est bien la recherche du sein et la succion qui créent chez la mère la réponse, et l’instinct du petit est premier. La mère humaine n’est pas moins bien lotie pour le maternage que la mère animale, c’est son bébé qui n’est pas fini, ce qui est finalement favorable à ce dernier car son cerveau peut continuer à se développer et à grandir.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)